Théâtre / Cinéma / Musique



Grande-Bretagne Vs États-Unis
50ème anniversaire des premiers albums de The Beatles et The Beach Boys

Alors qu’en Belgique Petula Clark occupe la première place du Hit-parade avec Cœur blessé et que Françoise Hardi fait de même en France avec Tous les garçons et les filles de mon âge deux groupes bientôt emblématiques débarquent dans leurs pays respectifs et connaissent leurs premiers succès nationaux. En effet, il y a bientôt cinquante ans sortait à trois jours d’intervalle le premier album des Beatles et le second album des Beach Boys.

The Beatles - Please Please me
Le 22 mars 1963 en Angleterre, sort le premier album des Beatles, quelques mois après la sortie des singles Love me do et Please please me. L’album est composé de huit compositions originales ainsi que de six reprises de standards tel que Twist and Shout.
L’album avait pour but de retranscrire l’énergie et le répertoire qui caractérisaient le groupe sur les scènes britanniques et faisait leur renommé depuis deux ans. Il est enregistré le 11 février, alors qu’ils ont un jour de pause dans leur tournée, et ce en l’espace de trois sessions de trois heures chacune ce qui est bien entendu exceptionnel. Cet empressement est dû à la volonté de surfer sur le succès du single Please Please me paru en janvier afin de les installer définitivement comme un groupe important et à suivre.
Dans la série des producteurs dans l’erreur, et avec le recul, il est marrant de noter Dick Rowe qui doit sa célébrité au fait d’avoir refusé les Beatles lors d’une audition en 1962 et d’avoir conclu l’entretien en leur expliquant que « les groupes à guitares allaient bientôt disparaître ». On peut noter que la maison de disque en question, Decca, reviendra sur son verdict et fera signer The Rolling Stones et The Who un peu plus tard.

The Beach Boys - Surfin’ USA
Le 25 mars 1963, aux Etats-Unis sort leur second album, après Surfin’ Safari. C’est le premier à arriver dans les premières ventes d’album aux États-Unis. The Beach Boys est à l’origine un groupe familial. Il est composé des trois frères Wilson, d’un de leur cousin et d’un ami à eux et le père Wilson en est le manager.
Cet album atteindra dès sa sortie la deuxième place dans les ventes nationales. Le titre Surfin’USA, composé par le leader Brian Wilson, inscrit définitivement le groupe comme l’icône d’une génération de surfeurs, image qui les qualifiera et à laquelle on associera leurs mélodies légères et propres à leur identité. Les paroles de la chanson sont très simples et sont une liste de tous les spots de surf de Californie mais aussi d’Australie et d’Hawaii.
Pour ceux qui ne savent pas trop à quoi s’attendre en écoutant l’album, c’est un peu comme regarder Pulp Fiction mais sans les images. En effet, la bande son de ce film est composé en grande partie de la musique surf. On y retrouve notamment Misirlou, composée par Dick Dale et reprise en autre par les Beach Boys dans Surfin’USA. Vous remarquerez d’ailleurs en parcourant ce magazine que Quentin Tarantino a le même âge à deux jours près que cet album des Beach Boys.

La course des charts
Ces sorties simultanées marquent le début de la concurrence entre les deux groupes. Les Beach Boys ne pourront pourtant pas rivaliser très longtemps. En effet, au début de l’année 1964 les Beatles détrôneront The Singing Nun de Sœur Sourire de la tête du classement Billboard des ventes d’albums aux Etats-Unis pour y être premier. Deux mois plus tard il rentreront dans l’histoire du classement en ayant cinq de leur chansons occupant les cinq premières places du classement. Les Beachs Boys ne baisseront cependant pas les bras et parviendront enfin à en obtenir la première place en mai 1964 avec leur tube internationnal I Get Around, et intègreront aussi les classements britanniques.


Los amantes pasajeros / Les Amants passagers
Pedro Alomodovar
Sortie cinéma le 27 mars

Pedro Almodovar, dont la renommée n’est plus à faire, a décidé de se faire plaisir, et la question que l’on se pose est : est-ce que c’est pour le nôtre ? En effet, le réalisateur est plus habitué aux histoires de famille qui tournent mal ou dont le passé peu glorieux ressurgit. De l’enfant qui meurt, à l’enfant né d’une relation incestueuse, en passant par la prostitution, la drogue, la sexualité débauchée, ses films sont de ceux qui ne passent généralement pas inaperçus dans notre mémoire.

Quand je dis que Pedro Almodovar s’est fait plaisir, c’est parce qu’il a réalisé ici une comédie chorale qui, comme ce mot l’indique, n’a pas d’acteurs principaux et dans lequel il y a rassemblé de nombreux acteurs espagnols que vous aurez peut- être déjà eu l’occasion de croiser dans un de ses précédents films (c’est par exemple le cas pour Javier Camara, Pene- lope Cruz, Lola Duenas, Cecilia Roth) ou dans d’autres films de la même natio- nalité (La Ballada TristaUn jour de ChanceExtraterrestreYo tambien). De plus, Pedro Almodovar a décidé de ne présenter ce film dans aucun festival, le réservant donc à son public.

L’histoire est simple. À la suite d’une erreur technique commise par des agents de piste d’un aéroport, un des trains d’atterrissage est bloqué, et les passagers du vol 2549 à destination de Mexico, se voient tourner en rond au-dessus de Tolède en attendant que les équipes au sol trouvent et préparent une piste pour un atterrissage d’urgence.

Constatant qu’il n’y a ni film ni musique, et que l’haleine des stewards sent quelque peu l’alcool, les passagers de la classe «Affaires» commencent à se poser des questions et très vite, ils commencent tous à envisager leur mort imminente. L’alcool aidant, les passagers de la classe «Affaires», les pilotes et les stewards vont en venir chacun leur tour à révéler ou trahir le secret qui les rongeait jusque- là, et vont tenter de réparer leurs erreurs du haut de leur cinq mille mètres d’altitude. Un don juan qui tente de join- dre sa dernière compagne, une célébrité convaincue que c’est un attentat contre elle, des pilotes et stewards qui ne sont pas uniquement collègues de travail, une vierge aux prémonitions morbides, les personnages sont clairement ceux qu’a l’habitude de mettre-en-scène Pedro Almodovar avec ceci de plus qu’ils n’ont pas à être autant plausibles que dans ses films précédents. Ou, comme le dit le réalisateur himself : « le film n’est pas une comédie réaliste, ni surréaliste, ni néoréaliste, c’est une comédie irréaliste et métaphorique ».

Des précédents « Almodovar », Les Amants passagers a la thématique en commun : l’amour et la mort. Mais la mort ne prend pas par surprise dans ce film-ci, elle n’est pas non plus la raison d’un deuil à faire, elle est envisagée depuis le début, et seul votre déplacement dans les salles obscures vous dira si elle a belle et bien lieu.
Les scènes hautes en couleurs et les situations burlesques, comme celle des stewards exécutant une chorégraphie sur I’m so exited des Pointer Sisters afin de détendre l’atmosphère, sont soutenues par des acteurs ayant le rythme de la comédie dans la peau. Ma préférence va pour Guillermo Toledo qui interprète le bourreau des cœurs Ricardo Galan que j’ai, à ma grande et agréable surprise, retrouvé ici et que j’avais déjà eu l’occa- sion d’adorer plusieurs fois dans Le Crime Farpait de Alex De La Iglesia dans lequel il interprète un rôle similaire.

En résumé, le film est drôle, au rythme plutôt soutenu, aux musiques entrai- nantes, aux mœurs légères, abordant la bisexualité, l’homosexualité et le sexe sous d’autres facettes, comme Pedro Almodovar en a l’habitude.


C’est du théâtre comme il était à espérer et à prévoir

Reprise du premier spectacle de Jan Fabre créé en 1982. Kaaitheater



Le lundi 11 mars à Ixelles,

Chère vous,

Je vous écris car la très longue soirée que nous avons passé ensemble ne cesse d’être ressassée par mon esprit et je ne pense pas retrouver le sommeil tant que je ne vous aurez pas décrit mes sentiments pour vous et la manière dont j’ai vécu ce moment pour le moins perturbant.

Alors que j’étais assis aux côtés d’autres personnes, l’arrivée que vous et vos amis avez faite a été pour le moins remarquée. Il faut dire que prendre des chaises, et bien plus qu’il ne vous en fallait pour vous neuf, aller vous installer au fond dos à nous, tout cela pour trépigner d’impatience jusqu’à atteindre des comportements qui ne sont pas normaux en société, du moins pas dans la nôtre... enfin il faut dire que vous faisiez tout pour l’être, remarqués.

Mais c’est à l’instant où vous vous êtes détaché de ce groupe pour venir nous parler que je suis tombé dans l’état de subjugation duquel je ne puis me sortir. Cette provocation qui est la vôtre, cette pudeur relative, ce phrasé hautain rajoutant à votre accent anglais plus de snobisme qu’il n’en faudrait à dix anglais pour être eux-mêmes, ce grain de voix si particulier, ces manières déplacées, cette manie que vous avez de répéter les mêmes gestes et les mêmes paroles sans cesse. Ces attributs font votre cohérence et ils font que je ne me suis levé de mon siège qu’au bout de six heures.

Si vous en étiez resté là, je vous aurai cependant probablement oublié. Non que cette fascination soit chez moi fréquente, mais plutôt que le fanatisme n'est pas tellement dans mes cordes. Seulement, j’ai eu l’impression de vivre en une nuit, une relation de plusieurs années, et même plusieurs relations de plusieurs années. Sur les huit heures que nous avons passé l’un près de l’autre, je suis passé de la contemplation, à l’admiration, au dégoût et à je ne sais quels autres sentiments étranges, forts et contradictoires.
J’ai payé pour vous voir, je me suis vu vous découvrir, je vous ai vu vous énerver, je vous ai vu aimer, vous déshabiller et vous rhabiller de nombreuses fois, avoir faim à en lécher la nourriture sur le sol, être rassasiée de produit à en faire une overdose. Je vous ai vu dans vos moments de fatigue extrême, répétant des gestes à bout de force, dans vos moments de joies et de folies, ou même tremblant nue sur le sol sous le regard des spectateurs halluciné assistant à la scène. Je me suis vu jaloux vous voyant au contact d’autres personnes.
Je vous ai trouvé tantôt belle, tantôt repoussante, tantôt excitante, tantôt inaccessible, tantôt extraordinaire, tantôt commune, j’ai été fier de vous voir si combative et déçu de vous voir prendre part à des visions artistiques à mon goût trop sexistes. 


C’est pour l’ensemble de ces raisons que j’écris cela. Car malgré le grand nombre de spectacle que je vois, c’est la première fois que je suis marqué de la sorte, au point d’en être hanté. Enfin, sauf si l’on compte mon ex copine... et ma dernière aventure... De toute façon ce n’est pas la question, on est toujours l’un ou l’une parmi tant d’autres sur un point. Mais l’important est d’être l’exception sur d’autres points. Prenons un exemple au hasard : moi. Je ne suis que l’un parmi tant d’autres spectateurs que vous avez fasciné l’autre soir, mais je suis peut-être l’unité qui vous envoie un tel message. Peut-être que parmi tant d'autres qui en envoie un, je serais l'exception à laquelle vous aller répondre. Ou peut-être encore que parmi tant d’autres à qui vous répondrez, je serais celui dont le message ne vous laissera pas indifférente. Et sachez que si les messages de ce genre ne vous laisse jamais indifférente, n’être qu’un parmi tant d’autres sera pour moi un plaisir certain.


Je conviens toutefois que mon courrier peut vous paraître soudain, précoce et quelque peu effrayant et que notre relation n’existant pour l’instant qu’à sens unique, commence de manière entièrement dissymétrique, ayant eu de mon côté le temps de vous scruter sous toutes vos coutures et émotions huit heures durant.

Ma mémoire est apparemment con- damnée à se voir graver des souvenirs immuables par votre metteur en scène contre son gré. Je garde en effet depuis quelques années un très mauvais souvenir d’un de ces spectacles les plus récents que je me délecte à descendre en flèche dès que l’occasion se présente. Cette fois-ci, la gravure sera de nature agréable et je chercherais d’ailleurs à en prolonger les motifs dans une semaine. Ce spectacle a du perdre énormément de son impact en trente ans, seulement l’impact que vous avez eu sur moi restera intact longtemps.

Quant au titre du spectacle, il était annonciateur mais quelque peu réducteur, c’est bien un moment de théâtre comme il était à espérer mais, au risque d’en perdre la saveur, c’est bien un moment qu’il ne fallait surtout pas prévoir.


Terrain vague Théâtre Marni
Ecriture Thibaut Nève
Mise en scène Jessica Gazon
Jeu Céline Peret, Quentin Marteau

« 1982. Liège. Une femme perd la vue et donne naissance à une fille, Céline. 
Entre déni et abandon, la gamine devient les yeux de sa mère : au marché, sur la mobylette, pour s’habiller. 
Elle sent les regards des autres sur elle, intrigués, tranchants, gênés. 
Céline quitte sa mère, rencontre un homme, et tombe enceinte. 
C’est une fille. 
Comment être mère quand on a joué à être la mère de sa mère ? 
Comment ne pas reproduire, ne pas salir ? Comment aimer ? 
Elle manque d’air. Son rôle la pèse, la submerge, l’engloutit.»
Voici le texte de présentation et c’est là toute l’essence de la pièce. Céline est dans le salon, le père de son enfant n’est pas loin, il s’occupe de la petite. Entre un bain, une histoire et des trajets jusqu’à sa fille qui réclame sa mère, Quentin essaye tant bien que mal de parler à Céline mais cette dernière n’est pas d’humeur, elle n’y arrive pas. Elle n’arrive pas à s’occuper de sa fille, à aller la voir quand elle entend son nom crié à travers le babyphone, à répondre à sa mère qui la harcèle au téléphone, mais elle n’arrive pas non-plus à ne plus penser à cette dernière. C’est d’ailleurs pourquoi elle la raconte.

L’espace scénique est divisé en deux. Le salon sur la scène, et en contre-bas une chaise à proximité des spectateurs qui sont assis en arc de cercle par rapport à elle. Le salon est le quotidien de Céline, celui qu’elle n’arrive pas à gérer donc à affronter, et qu’elle fuit en se plongeant dans ses pensées, dans lesquelles elles se rapproche du public pour lui raconter son enfance afin que l’on comprenne, et elle en même temps, pourquoi elle n’arrive pas à faire face à son rôle de mère. De la description de sa mère elle en arrive très vite à l’imitation ou l’incarnation suivant les moments.

Le spectacle est plutôt bien rythmé et l’on ne s’y ennui pas. L’alternance du réel et de l’imagination partagée avec le public est bien exécutée, et la rencontre des deux univers lors de la lecture de Blanche-Neige faite par le père est un bon et beau moment. Cependant, au-delà de l’humour cynique maitrisé et des deux comédiens parfaitement dans leurs rôles, il est difficile de trouver à ce spectacle un intérêt évident. Une mère qui raconte son enfance pour expliquer ses problèmes ne suffit pas à faire un sujet, sauf si cela est parfaitement maitrisé, mais bien d’autres auteurs contemporains font cela de manière à la fois toute aussi personnelle mais bien plus magistrale.

Il reste à la fin du spectacle une petite impression de vide, de ne pas avoir vu de début et de fin, de ne pas avoir suivi une histoire réellement construite autour d’une intrigue. Il manque selon moi un prétexte, un élément perturbateur ou un événement quelconque qui provoquerait à Céline le besoin de faire le point. Hors j’ai eu l’impression d’être dans une journée normale de quelqu’un ayant des problèmes, dont la source n’est peut-être pas commune, mais dont le mal-être provoqué est montré tel quel avec trop peu de recherche supplémentaire.

Sortie de scène Théâtre Royal des Galeries
mise-en-scène Jean-Claude Idée
Ecriture Nicolas Bedos

C’est l’histoire de Pierre Monceau, grand auteur à succès qui a eu ses heures de gloires parisiennes en écrivant des comédies. Il a désormais a quitté ce monde artistique depuis dix ans pour écrire des essais polémiques dépeignant et détestant le milieu qui l’a fait vivre et le reste du monde d’ailleurs. À maintenant soixante ans, ce sont plutôt les gens du théâtre et les médias qui l’ont quitté, que l’inverse. Il faut dire, qu’à écrire des lettres aux patrons des grandes entreprises, aux directeurs des théâtres et à décrire ce public médiocre qui s’abêti devant la télévision ou même devant du théâtre de boulevard, il n’a pas pris la voie la plus facile pour être apprécié.
Cloitré dans son appartement parisien, fâché avec tout le monde, sa famille y compris, et affrontant la maladie, il essaye péniblement de se faire entendre du grand public en insistant auprès de l’animateur télé en vogue pour qu’il l’invite dans son émission.

Choix plutôt intéressant qu’a fait Nicolas Bedos pour un premier essai dramaturgique, que de parler d’un auteur de théâtre en fin de carrière, aigris des médias et des milieux « hypes » parisiens, et méprisant le théâtre de comédie. On peut y voir un objet réflexif au travers duquel il se demande pourquoi il commence dans cette voie-là et fait un petit bilan sur ce qu’il est et qu’il fait. Intéressant également car le personnage principal critique le genre de théâtre que les spectateurs de « Sortie de scène » sont venus voir.
Les autres éléments y sont assez clairs, dans le sens où les personnes qu’ils donnent à voir dans le spectacle sont ceux qu’il a de toute évidence côtoyés, et desquels il a grossis ou non les traits. Du présentateur télé ne jurant que par l’audience, du jeune auteur parisien passant son temps à boire et à être vu par les personnalités en soirée ou encore la gouvernante-secrétaire et amie dévouée mais qui ne se laisse pas faire.
Quand au personnage principal, il est certainement permit de ne pas chercher bien loin pour en trouver l’objet principal d’inspiration. Dans la première mise en scène de cette pièce, en effet, c’est son père, Guy Bedos en incarnait les traits.

C’est, évidemment, arrivé à un point proche du non-retour que notre protagoniste va voir arriver l’élément perturbateur. Refusant d’avoir des nouvelles de sa famille, c’est sans presque en être prévenu, que Pierre Monceau va voir débarquer chez lui sa nièce. Cette jeune de vingt-ans balançant entre la dépression et la révolte, est une fervente admiratrice des écrits politiques et polémiques de son oncle. Étant excédée par sa famille bourgeoise, elle a décidé d’entrer dans la vie de l’auteur sans y avoir été invitée. C’est à cette rencontre que l’homme de soixante ans qui fuit toute sociabilité depuis maintenant dix ans va devoir faire face.

Le spectacle nous fait passer un très bon moment de comédie, devant lequel il est facile de rire tant les répliques sont efficaces. Les personnages y sont caricaturaux mais il n’est pas question d’écriture gratuite ; ils ont tous des aspirations qui les font vivre et agir ainsi, et leurs rencontres sont toujours bien menées. La mise en scène de Jean-Claude Idée ainsi que les comédiens servent parfaitement le texte, et l’ennui y est relativement difficile. Le duo investit par Jean-Claude Frison et Marie-Hélène Remacle, jouant respectivement l’auteur et la gouvernante, fonctionne parfaitement bien, elle avec son positivisme et sa distance avec le beau-monde, lui avec la détestation qu’il en a. De même, les autres acteurs sont convaincants dans leurs rôles tantôt détestables tantôt attachants ou drôles, déterminés et perdus, incarnant différentes appréhensions de la jeunesse.

En bref, c’est une bonne comédie, bien écrite et bien montée, à la manière d’un théâtre classique, au décor imposant et figuratif d’un salon et au point de vue acerbe et comique, sans la férocité et le cynisme parfois poussées à l’extrême que revêtent certaines chroniques de Nicolas Bedos, et qui n’auraient pas leur place dans ce théâtre-là.


Michel Dupont Théâtre national
Ecriture et conception d’Anne-Cécile Vandalem


Avant d’entrer dans la salle, les techniciens mettent en garde les éventuels phobiques du noir, en leur préconisant de se placer le plus près possible de la sortie au cas où. C’est donc mis dans l’ambiance que nous entrons dans une pièce très faiblement éclairée, et que tout en nous habituant à l’obscurité, nous nous asseyons en cercle sur des coussins autour d’un bloc rectangulaire noir, représentant la tour, lieu de l’histoire.

La lumière s’éteint et la narration commence. Il était une fois un roi et une reine. La reine meurt avant d’avoir pu donner un prénom à sa fille et le roi, voyant la princesse sa fille ressembler de plus en plus à feu sa femme en grandissant, prive la tour dans laquelle ils vivent de tous reflets possibles. La princesse, qui nous raconte son histoire, grandit donc dans l’obscurité entourées de fenêtres calfeutrées, sans jamais voir son reflet, jusqu’au jour de ses onze ans, date à laquelle son père lui fait boire des médicaments et profite de son sommeil pour l’enfermer sous la tour entre quatre murs.

Nous voilà à ce moment-là plongés dans l’obscurité TOTALE, et ballottés par l’angoisse et les hallucinations de cette jeune princesse qui découvre à tâtons la pièce de laquelle elle est prisonnière, ensuite obnubilée par l’eau qu’elle entend couler goutte à goutte et dont elle cherche la source.

Hormis la tour dans laquelle l’on voit s’éclairer les fenêtres de temps à autre, une lumière venant du plafond ou les autres spectateurs autour, nous sommes privés d’éléments visuels. Le son est spatialisé, et lorsque la princesse se déplace à quatre pattes dans la pièce, on cherche la goutte avec elle, et on l’entend tantôt s’approcher de nous, tantôt s’éloigner. Ce spectacle a le grand mérite de nous faire découvrir l’imagination dont nous faisons preuve lorsque nous ne possédons pas le sens de la vue. L’obscurité totale - que nous ne vivons jamais vraiment, les sources lumineuses ne manquant pas dans notre quotidien, de la lune à la lumière rouge d’un appareil électronique en veille - couplée à la narration, mettent les spectateurs en état d’alerte, au plus près de l’angoisse de la princesse et de ses divagations.

Jusqu’à en être déçu lorsque la lumière se fait et que l’imagination se restreint. La petite critique sera la monotonie des effets sonores. En effet, les moments dans lesquels la princesse apprivoise les bruits extérieurs qui la rattachent au monde qu’elle ne connaît plus et ceux dans lesquels son imagination la perd dans de grands délires se font rares au bout d’un certain temps.

C’est tout de même un spectacle à vivre, donc il ne faut pas hésiter à y aller, car les défauts ne masquent pas l’originalité de l’expérience, et le récit est plutôt bien construit du début à la fin. À un moment où les créations contemporaines se font de plus en plus transdisciplinaires, intégrant l’art plastique, la vidéo, l’animation ou la musique live, cet objet théâtral a le mérite d’exister et de nous faire découvrir que ne pas voir peut rendre certains moments beaucoup plus intéressant que l’inverse.


Le mouton et la baleine Théâtre Océan-Nord
Jasmina Douieb / Cie Entre chiens et loups
Ecriture Ahmed Ghalazi



Un cargo russe heurte une embarcation remplie de clandestins marocains. Le capitaine décide de stopper le cargo et lance un appel pour que quelqu’un vienne chercher les corps ainsi que l’unique rescapée, afin que l’équipage puisse continuer sa route. C’est alors une nuit de négociations qui débute, qu’elles soient avec les autorités qui se rejettent la responsabilité ou entre les personnes présentes sur le bateau.
Chacun avec ses convictions ou espoirs, les personnages vont réfléchir, débattre et agir, de la manière qu’il pense être la bonne, et qui ne s’accorde évidemment pas à celles des autres.


L’auteur, Ahmed Ghalazi, entremêle les points de vue tout en mettant en place une histoire bien ficelée au cours de laquelle les intrigues se compliquent ou se démêlent et ou la surprise est toujours possible. Cependant, on peut facilement reprocher au texte des personnages très caricaturaux. Un capitaine du bateau qui tient à ce les corps soient récupéré afin qu’il n’ai pas d’ennuis. Des membres de l’équipage des plus racistes qui soit, qui organise une chasse à la survivante tout en comparant les personnes noires à des animaux. Le médecin du bateau, humaniste, qui tient à s’occuper de la rescapée. Un couple de français, dont l’homme est un marocain immigré en France et ayant obtenu la nationalité, et qui vit une crise identitaire face à sa compagne française de souche qui ne peut rien n’y comprendre. Et bien entendu, la survivante ayant à se cacher de l’équipage tant bien que mal.

Alors que les premières apparitions des personnages tranchent avec la scène d’introduction magnifique, la metteure en scène va réussir à faire, à partir d’un texte très inégal, un très beau spectacle.

La scénographie est composée d’une structure placée au centre de la scène qui tangue suivant les déplacements des personnes. Au fond de celle-ci sont alignées plusieurs portes, qui permettent aux personnages d’aller et venir sur ce qui semblent être le pont. Sur le reste de la scène sont entreposés des vêtements, représentant la mer méditerranée, et symboliquement peut-on penser, les cadavres qui en jonchent le fond.

Jasmina Douieb, la metteure en scène, et sa compagnie, « Entre chiens et loups », ont choisi de faire une création qui soit ancrée dans son territoire, c’est-à-dire Bruxelles. Pour ce faire, elle a travaillé avec l’association « Globe Aroma » dont le principe est de créer des projets artistiques avec des primo-arrivants comme support à l’insertion sociale, et a choisi comme lieu de résidence et de création le théâtre Océan-Nord : « Je voulais aussi li trouver un lieu atypique pour le créer et à ce titre le Théâtre Océan Nord y répond admirablement parce qu’il est, entant qu’espace dédier à la scène, à la fois construit, mais aussi un peu hors les murs, il raconte autre chose que sa fonction de théâtre, quelque chose d’urbain ».

Ainsi, aux personnages déjà présentés, s’ajoutent des musiciens et comédiens primo-arrivant à Bruxelles, qui font vivre cette mer méditerranée et viennent se mêler aux discours des personnages, ou parfois les interrompre, au rythme de musiques africaines, avec parfois du texte « slammé » ou encore des scènes très chorégraphiées.
Grâce aux musiques et à ces musiciens présents autour du bateau, la Jasmina Douieb ajoute rend un caractère onirique encore plus fort aux moments du textes qui sortent du cadre réaliste de l’intrigue pour lui conférer son statut de conte.

Ce sont justement ces moments auxquels stoppent les dialogues d’opinion tentant de ranger le spectateur d’un côté ou de l’autre, et où par le fantastique, le et la mise en scène embarquent le spectateur et lui proposent de réelles réflexions et émotions, sans lui dicter les réponses.

Le bureau des histoires… Théâtre national

(Qu’on raconte avant d’aller dormir le soir)
Cie Le Théâtre du Tilleul

Un salon vide, avec juste un piano, une petite table et un téléphone en bakélite. Sur les murs de papier peint au motif noir et blanc, on devine les traces de tableaux qui ont été suspendus là, il y a des années, et aussi l’emplacement d’une ancienne cheminée. Une fenêtre ouvre sur la nuit qui tombe.



Alain, Benjamin, Carine et Jean travaillent ensemble au bureau des histoires. Leur travail est de recevoir les appels de personne voulant entendre une ou plusieurs histoires avant de s’endormir. Situé pas loin du bureau des chocolats chauds et du bureau des histoires qui font peurs, ils créent ensemble l’histoire que leur demande leur interlocuteur.



Carine répond au téléphone et narre les histoires, Jean est au piano, tandis qu’Alain et Benjamin jouent avec des objets des objets et des lumières afin de rendre les histoires vivantes. Des jeux d’ombres sur un grand drap étendu en fond de scène, du bruitage, de la musique et parfois du jeu plus classique permettent à ce spectacle d’être un moment récréatif et plein d’humour qui favorise l’imaginaire.



Les histoires contées sont parfois un peu répétitives mais il s’agit d’un spectacle ouvert aux publics à partir de cinq ans, ce qui justifie ce choix. Et on pourra aussi reprocher un spectacle assez peu participatif, chose regrettable pour un spectacle tous public de ce format.



Toutefois, les enfants dans la salle s’éclaffent, commentent et les plus petits restent bouche bée par moment, par exemple quand l’ombre du train fait son apparition sur les murs du bureau pour la première fois.

Le format d’une heure en fait toutefois un spectacle efficace, et ajoutée à l’humour parfois plus adressé aux parents, il permet à tous les spectateurs de sortir ravi et de se préparer à passer une bonne nuit une fois rentrés chez eux.




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