mardi 19 mars 2013

Traduction de la folie ?


Woyzeck serdi faki Théâtre de la vie
De et avec Gökhan Shapolski Girginol, Alici 'Serdi' Faki
Dans le cadre du « Tok Toc Knock Festival II Saint-Josse » – KVS

Mon réveil sonne. Je ne suis pas très réveillé, il est midi, nous sommes dimanche et ils jouent Woyzeck au Théâtre de la vie dans deux heures. Cela me laisse donc le temps d’émerger en naviguant sur l’Internet bruxellois afin de me rafraichir la mémoire sur ce que je m’apprête à découvrir. Woyzeck est donc un texte écrit par Georg Büchner en 1837. La description disponible sur le site Internet du théâtre étant quelque peu succincte, j’élargis ma promenade numérique aux différents Internets.

C’est donc sur l’internet Wikipedia, un des plus fréquentés, que je découvre ceci. Georg Büchner est un écrivain, dramaturge, révolutionnaire, médecin et scientifique allemand. Il s’exile en 1835 à Strasbourg à la suite d’écrits satiriques qui lui valent la censure et un emprisonnement prochain, débute un doctorat en biologie, écrit deux pièces de théâtre et meurt pendant l’écriture de la troisième, et ce à l’âge de 23 ans. Et oui, rien que ça. Ce n’est pas que je n’aime pas que l’on me rappelle que j’ai 23 ans et que j’ai encore rien fait mais je ne peux pas dire que cela me mette de très bonne humeur dès le réveil.

C’est après une course effrénée dans plusieurs couloirs de métro et quelques rues que j’arrive au Théâtre de la vie. Le public qui patiente dans le hall provient d’horizons linguistiques assez divers mais cela ne m’étonne pas plus que ça, nous sommes à Bruxelles, il faut donc que je m’y fasse. Je brave cette foule pour me saisir de mon ticket et de la feuille du spectacle qui est cette fois-ci plus complète.

Assis dans la salle et attendant le début je me renseigne un peu plus. « Woyzeck  est un jeune soldat qui mène une vie difficile : il ne gagne pas beaucoup d’argent. Il habite avec Marie et un enfant et s’efforce de les entretenir. Il se laisse utiliser comme cobaye par un docteur assoiffé d’expériences et exploité par un capitaine de garnison qui lui confie des missions insignifiantes. Quand Marie commence une liaison avec un tambour-major, Woyzeck finit par la tuer avant de se suicider. »

Oui c’est vrai, c’est d’un commun de ne passer que des dimanches paisibles à la longue. Je me languissais donc de pouvoir enfin passer un dimanche en étant déprimé. Mauvaise foi à part, cela s’annonce être une bonne réflexion sur les raisons de la folie.

La lumière s’éteint du côté public et s’allume sur la scène. Cette dernière a été transformée en espèce de caverne à gauche de laquelle se situe un poulailler. Un homme entre et s’approche progressivement du public tenant un tableau devant son visage. Il est clairement dérangé, fixe le public, tend ses mains en espérant y recevoir de l’argent et parle dans un dialecte incompréhensible. Il se parle tantôt à lui-même, tantôt au public et aussi à un enfant imaginaire qu’il s’est fabriqué avec des bâtons ou des os et des vêtements trouvés dans la rue. Il est donc clairement fou et bafouille durant des minutes entières des syllabes n’ayant aucun lien les unes avec les autres, aux accents tantôt arabes tantôt germaniques…

Ah mais non !!! Et c’est à ce moment-là que je comprends. C’est fait ! C’est mon baptême du feu comme on dit. Il fallait bien que cela arrive un jour, après deux mois en Belgique et une dizaine de spectacles à mon actif. Mais c’est maintenant, sur un texte dramatique, un dimanche matin très tôt (si, si 14h c’est tôt). Et oui cet homme n’est pas si fou que cela, enfin sa folie consiste à parler à la fois flamand et turc et il est assez fou aussi pour ne pas avoir pensé à équiper son poulailler d’un système de sur-titrage. Ce qui, pour le coup, est plutôt cohérent.

Le spectacle dure un peu plus d’une heure. Cela me fait penser à tous ces étrangers qui envahissent les rues et les théâtres de ma ville durant le Festival d’Avignon et assistent à des représentations sans rien comprendre de ce qu’ils oient-dire (du verbe ouïr) et doivent alors passer leur cerveau en mode visuel. Je fais donc de même. Moi qui étais curieux de découvrir le texte, ce ne sera pas pour aujourd’hui.

Après une vingtaine de minutes passée à observer, un deuxième protagoniste entre en scène. Il s’approche de Woyzeck, lit la pancarte écrite en flamand que tient ce dernier, se tourne vers le public et dit « je ne comprend rien à ce qui est écrit ». HIP HIP HIP HOURA, un francophone, c’est trop beau pour être vrai. Ce n’est pas que j’ai quelque chose contre les turcs ou les flamands mais j’aime bien comprendre ce qu’on me dit, c’est tout. Puis ce même personnage continue « I don’t understand no words ». Et bien voilà qu’il parle même les deux langues que mon éducation me permet de comprendre. C’est beau le hasard. Puis il poursuit « Jkjuurkrl kduejlr lk ui jrllej ». NON. « jiujr juzer jkoih jhuyqs ». NON, non et non. Et à part un dernier passage de deux minutes dans la langue de Shaekspeare, les deux acteurs sont retournés à celles du Dâd et de Vondel.

La lumière s’éteint sur la scène, se rallume dans la salle, le premier clappement de main se fait entendre, les acteurs viennent saluer, la plupart des spectateurs applaudissent tandis que d’autres n’attendaient qu’une seule chose. Que la lumière se rallume afin qu’il puissent, en portant précipitamment à leur regard la feuille du spectacle qu’ils serraient dans leur main depuis une heure, vérifier si l’inscription turc ou flamand ou même chinois figuraient en tant qu’informations lisibles.

La réponse est oui : « Turque, accessible à tous ». Et c’est donc perplexe que je retourne à mes pénates en me disant que si le metteur en scène à réussi à me mettre dans un état d’incompréhension totale par rapport aux gens qui s’adressent à moi, et à me donner le sentiment d’être là sans y être vraiment, c’est peut-être qu’il vient de me faire ressentir mieux que quiconque ce que signifie Woyzeck.

Déclaration à une comédienne


C’est du théâtre comme il était à espérer et à prévoir
Reprise du premier spectacle de Jan Fabre créé en 1982. Kaaitheater

Le lundi 11 mars à Ixelles,
Chère vous,

Je vous écris car la très longue soirée que nous avons passé ensemble ne cesse d’être ressassée par mon esprit et je ne pense pas retrouver le sommeil tant que je ne vous aurez pas décrit mes sentiments pour vous et la manière dont j’ai vécu ce moment pour le moins perturbant.

Alors que j’étais assis aux côtés d’autres personnes, l’arrivée que vous et vos amis avez faite a été pour le moins remarquée. Il faut dire que prendre des chaises, et bien plus qu’il ne vous en fallait pour vous neuf, aller vous installer au fond dos à nous, tout cela pour trépigner d’impatience jusqu’à atteindre des comportements qui ne sont pas normaux en société, du moins pas dans la nôtre... enfin il faut dire que vous faisiez tout pour l’être, remarqués.

Mais c’est à l’instant où vous vous êtes détaché de ce groupe pour venir nous parler que je suis tombé dans l’état de subjugation duquel je ne puis me sortir. Cette provocation qui est la vôtre, cette pudeur relative, ce phrasé hautain rajoutant à votre accent anglais plus de snobisme qu’il n’en faudrait à dix anglais pour être eux-mêmes, ce grain de voix si particulier, ces manières déplacées, cette manie que vous avez de répéter les mêmes gestes et les mêmes paroles sans cesse. Ces attributs font votre cohérence et ils font que je ne me suis levé de mon siège qu’au bout de six heures.

Si vous en étiez resté là, je vous aurai cependant probablement oublié. Non que cette fascination soit chez moi fréquente, mais plutôt que le fanatisme n'est pas tellement dans mes cordes. Seulement, j’ai eu l’impression de vivre en une nuit, une relation de plusieurs années, et même plusieurs relations de plusieurs années. Sur les huit heures que nous avons passé l’un près de l’autre, je suis passé de la contemplation, à l’admiration, au dégoût et à je ne sais quels autres sentiments étranges, forts et contradictoires.
J’ai payé pour vous voir, je me suis vu vous découvrir, je vous ai vu vous énerver, je vous ai vu aimer, vous déshabiller et vous rhabiller de nombreuses fois, avoir faim à en lécher la nourriture sur le sol, être rassasiée de produit à en faire une overdose. Je vous ai vu dans vos moments de fatigue extrême, répétant des gestes à bout de force, dans vos moments de joies et de folies, ou même tremblant nue sur le sol sous le regard des spectateurs halluciné assistant à la scène. Je me suis vu jaloux vous voyant au contact d’autres personnes.
Je vous ai trouvé tantôt belle, tantôt repoussante, tantôt excitante, tantôt inaccessible, tantôt extraordinaire, tantôt commune, j’ai été fier de vous voir si combative et déçu de vous voir prendre part à des visions artistiques à mon goût trop sexistes. 


C’est pour l’ensemble de ces raisons que j’écris cela. Car malgré le grand nombre de spectacle que je vois, c’est la première fois que je suis marqué de la sorte, au point d’en être hanté. Enfin, sauf si l’on compte mon ex copine... et ma dernière aventure... De toute façon ce n’est pas la question, on est toujours l’un ou l’une parmi tant d’autres sur un point. Mais l’important est d’être l’exception sur d’autres points. Prenons un exemple au hasard : moi. Je ne suis que l’un parmi tant d’autres spectateurs que vous avez fasciné l’autre soir, mais je suis peut-être l’unité qui vous envoie un tel message. Peut-être que parmi tant d'autres qui en envoie un, je serais l'exception à laquelle vous aller répondre. Ou peut-être encore que parmi tant d’autres à qui vous répondrez, je serais celui dont le message ne vous laissera pas indifférente. Et sachez que si les messages de ce genre ne vous laisse jamais indifférente, n’être qu’un parmi tant d’autres sera pour moi un plaisir certain.

Je conviens toutefois que mon courrier peut vous paraître soudain, précoce et quelque peu effrayant et que notre relation n’existant pour l’instant qu’à sens unique, commence de manière entièrement dissymétrique, ayant eu de mon côté le temps de vous scruter sous toutes vos coutures et émotions huit heures durant.

Ma mémoire est apparemment con- damnée à se voir graver des souvenirs immuables par votre metteur en scène contre son gré. Je garde en effet depuis quelques années un très mauvais souvenir d’un de ces spectacles les plus récents que je me délecte à descendre en flèche dès que l’occasion se présente. Cette fois-ci, la gravure sera de nature agréable et je chercherais d’ailleurs à en prolonger les motifs dans une semaine. Ce spectacle a du perdre énormément de son impact en trente ans, seulement l’impact que vous avez eu sur moi restera intact longtemps.

Quant au titre du spectacle, il était annonciateur mais quelque peu réducteur, c’est bien un moment de théâtre comme il était à espérer mais, au risque d’en perdre la saveur, c’est bien un moment qu’il ne fallait surtout pas prévoir.


un film choral, une comédie et Almodovar


Les Amants passagers (Los amantes pasajeros)
Pedro Almodovar
Sortie cinéma : 27 mars

Pedro Almodovar, dont la renommée n’est plus à faire, a décidé de se faire plaisir, et la question que l’on se pose est : est-ce que c’est pour le nôtre ? En effet, le réalisateur est plus habitué aux histoires de famille qui tournent mal ou dont le passé peu glorieux ressurgit. De l’enfant qui meurt, à l’enfant né d’une relation incestueuse, en passant par la prostitution, la drogue, la sexualité débauchée, ses films sont de ceux qui ne passent généralement pas inaperçus dans notre mémoire.

Quand je dis que Pedro Almodovar s’est fait plaisir, c’est parce qu’il a réalisé ici une comédie chorale qui, comme ce mot l’indique, n’a pas d’acteurs principaux et dans lequel il y a rassemblé de nombreux acteurs espagnols que vous aurez peut- être déjà eu l’occasion de croiser dans un de ses précédents films (c’est par exemple le cas pour Javier Camara, Penelope Cruz, Lola Duenas, Cecilia Roth) ou dans d’autres films de la même nationalité (La Ballada Trista, Un jour de Chance, Extraterrestre, Yo tambien). De plus, Pedro Almodovar a décidé de ne présenter ce film dans aucun festival, le réservant donc à son public.

L’histoire est simple. À la suite d’une erreur technique commise par des agents de piste d’un aéroport, un des trains d’atterrissage est bloqué, et les passagers du vol 2549 à destination de Mexico, se voient tourner en rond au-dessus de Tolède en attendant que les équipes au sol trouvent et préparent une piste pour un atterrissage d’urgence.

Constatant qu’il n’y a ni film ni musique, et que l’haleine des stewards sent quelque peu l’alcool, les passagers de la classe «Affaires» commencent à se poser des questions et très vite, ils commencent tous à envisager leur mort imminente. L’alcool aidant, les passagers de la classe «Affaires», les pilotes et les stewards vont en venir chacun leur tour à révéler ou trahir le secret qui les rongeait jusque-là, et vont tenter de réparer leurs erreurs du haut de leur cinq mille mètres d’altitude. Un don juan qui tente de join- dre sa dernière compagne, une célébrité convaincue que c’est un attentat contre elle, des pilotes et stewards qui ne sont pas uniquement collègues de travail, une vierge aux prémonitions morbides, les personnages sont clairement ceux qu’a l’habitude de mettre en scène Pedro Almodovar avec ceci de plus qu’ils n’ont pas à être autant plausibles que dans ses films précédents. Ou, comme le dit le réalisateur himself : « le film n’est pas une comédie réaliste, ni surréaliste, ni néoréaliste, c’est une comédie irréaliste et métaphorique ».

Des précédents « Almodovar », Les Amants passagers a la thématique en commun : l’amour et la mort. Mais la mort ne prend pas par surprise dans ce film-ci, elle n’est pas non plus la raison d’un deuil à faire, elle est envisagée depuis le début, et seul votre déplacement dans les salles obscures vous dira si elle a belle et bien lieu.
Les scènes hautes en couleurs et les situations burlesques, comme celle des stewards exécutant une chorégraphie sur I’m so exited des Pointer Sisters afin de détendre l’atmosphère, sont soutenues par des acteurs ayant le rythme de la comédie dans la peau. Ma préférence va pour Guillermo Toledo qui interprète le bourreau des cœurs Ricardo Galan que j’ai, à ma grande et agréable surprise, retrouvé ici et que j’avais déjà eu l’occa- sion d’adorer plusieurs fois dans Le Crime Farpait de Alex De La Iglesia dans lequel il interprète un rôle similaire.

En résumé, le film est drôle, au rythme plutôt soutenu, aux musiques entrai- nantes, aux mœurs légères, abordant la bisexualité, l’homosexualité et le sexe sous d’autres facettes, comme Pedro Almodovar en a l’habitude.

lundi 18 mars 2013

Et il n'y a pas que le terrain...

Terrain vague Théâtre Marni
Ecriture Thibaut Nève
Mise en scène Jessica Gazon
Jeu Céline Peret, Quentin Marteau
« 1982. Liège. Une femme perd la vue et donne naissance à une fille, Céline. 
Entre déni et abandon, la gamine devient les yeux de sa mère : au marché, sur la mobylette, pour s’habiller. 
Elle sent les regards des autres sur elle, intrigués, tranchants, gênés. 
Céline quitte sa mère, rencontre un homme, et tombe enceinte. 
C’est une fille. 
Comment être mère quand on a joué à être la mère de sa mère ? 
Comment ne pas reproduire, ne pas salir ? Comment aimer ? 
Elle manque d’air. Son rôle la pèse, la submerge, l’engloutit.»
Voici le texte de présentation et c’est là toute l’essence de la pièce. Céline est dans le salon, le père de son enfant n’est pas loin, il s’occupe de la petite. Entre un bain, une histoire et des trajets jusqu’à sa fille qui réclame sa mère, Quentin essaye tant bien que mal de parler à Céline mais cette dernière n’est pas d’humeur, elle n’y arrive pas. Elle n’arrive pas à s’occuper de sa fille, à aller la voir quand elle entend son nom crié à travers le babyphone, à répondre à sa mère qui la harcèle au téléphone, mais elle n’arrive pas non-plus à ne plus penser à cette dernière. C’est d’ailleurs pourquoi elle la raconte.

L’espace scénique est divisé en deux. Le salon sur la scène, et en contre-bas une chaise à proximité des spectateurs qui sont assis en arc de cercle par rapport à elle. Le salon est le quotidien de Céline, celui qu’elle n’arrive pas à gérer donc à affronter, et qu’elle fuit en se plongeant dans ses pensées, dans lesquelles elles se rapproche du public pour lui raconter son enfance afin que l’on comprenne, et elle en même temps, pourquoi elle n’arrive pas à faire face à son rôle de mère. De la description de sa mère elle en arrive très vite à l’imitation ou l’incarnation suivant les moments.

Le spectacle est plutôt bien rythmé et l’on ne s’y ennui pas. L’alternance du réel et de l’imagination partagée avec le public est bien exécutée, et la rencontre des deux univers lors de la lecture de Blanche-Neige faite par le père est un bon et beau moment. Cependant, au-delà de l’humour cynique maitrisé et des deux comédiens parfaitement dans leurs rôles, il est difficile de trouver à ce spectacle un intérêt évident. Une mère qui raconte son enfance pour expliquer ses problèmes ne suffit pas à faire un sujet, sauf si cela est parfaitement maitrisé, mais bien d’autres auteurs contemporains font cela de manière à la fois toute aussi personnelle mais bien plus magistrale.

Il reste à la fin du spectacle une petite impression de vide, de ne pas avoir vu de début et de fin, de ne pas avoir suivi une histoire réellement construite autour d’une intrigue. Il manque selon moi un prétexte, un élément perturbateur ou un événement quelconque qui provoquerait à Céline le besoin de faire le point. Hors j’ai eu l’impression d’être dans une journée normale de quelqu’un ayant des problèmes, dont la source n’est peut-être pas commune, mais dont le mal-être provoqué est montré tel quel avec trop peu de recherche supplémentaire.
Publié dans Le Suricate n°13

Une comédie de Nicolas Bedos


Sortie de scène Théâtre Royal des Galeries
mise-en-scène Jean-Claude Idée
Ecriture Nicolas Bedos

C’est l’histoire de Pierre Monceau, grand auteur à succès qui a eu ses heures de gloires parisiennes en écrivant des comédies. Il a désormais a quitté ce monde artistique depuis dix ans pour écrire des essais polémiques dépeignant et détestant le milieu qui l’a fait vivre et le reste du monde d’ailleurs. À maintenant soixante ans, ce sont plutôt les gens du théâtre et les médias qui l’ont quitté, que l’inverse. Il faut dire, qu’à écrire des lettres aux patrons des grandes entreprises, aux directeurs des théâtres et à décrire ce public médiocre qui s’abêti devant la télévision ou même devant du théâtre de boulevard, il n’a pas pris la voie la plus facile pour être apprécié.
Cloitré dans son appartement parisien, fâché avec tout le monde, sa famille y compris, et affrontant la maladie, il essaye péniblement de se faire entendre du grand public en insistant auprès de l’animateur télé en vogue pour qu’il l’invite dans son émission.

Choix plutôt intéressant qu’a fait Nicolas Bedos pour un premier essai dramaturgique, que de parler d’un auteur de théâtre en fin de carrière, aigris des médias et des milieux « hypes » parisiens, et méprisant le théâtre de comédie. On peut y voir un objet réflexif au travers duquel il se demande pourquoi il commence dans cette voie-là et fait un petit bilan sur ce qu’il est et qu’il fait. Intéressant également car le personnage principal critique le genre de théâtre que les spectateurs de « Sortie de scène » sont venus voir.
Les autres éléments y sont assez clairs, dans le sens où les personnes qu’ils donnent à voir dans le spectacle sont ceux qu’il a de toute évidence côtoyés, et desquels il a grossis ou non les traits. Du présentateur télé ne jurant que par l’audience, du jeune auteur parisien passant son temps à boire et à être vu par les personnalités en soirée ou encore la gouvernante-secrétaire et amie dévouée mais qui ne se laisse pas faire.
Quand au personnage principal, il est certainement permit de ne pas chercher bien loin pour en trouver l’objet principal d’inspiration. Dans la première mise en scène de cette pièce, en effet, c’est son père, Guy Bedos en incarnait les traits.

C’est, évidemment, arrivé à un point proche du non-retour que notre protagoniste va voir arriver l’élément perturbateur. Refusant d’avoir des nouvelles de sa famille, c’est sans presque en être prévenu, que Pierre Monceau va voir débarquer chez lui sa nièce. Cette jeune de vingt-ans balançant entre la dépression et la révolte, est une fervente admiratrice des écrits politiques et polémiques de son oncle. Étant excédée par sa famille bourgeoise, elle a décidé d’entrer dans la vie de l’auteur sans y avoir été invitée. C’est à cette rencontre que l’homme de soixante ans qui fuit toute sociabilité depuis maintenant dix ans va devoir faire face.

Le spectacle nous fait passer un très bon moment de comédie, devant lequel il est facile de rire tant les répliques sont efficaces. Les personnages y sont caricaturaux mais il n’est pas question d’écriture gratuite ; ils ont tous des aspirations qui les font vivre et agir ainsi, et leurs rencontres sont toujours bien menées. La mise en scène de Jean-Claude Idée ainsi que les comédiens servent parfaitement le texte, et l’ennui y est relativement difficile. Le duo investit par Jean-Claude Frison et Marie-Hélène Remacle, jouant respectivement l’auteur et la gouvernante, fonctionne parfaitement bien, elle avec son positivisme et sa distance avec le beau-monde, lui avec la détestation qu’il en a. De même, les autres acteurs sont convaincants dans leurs rôles tantôt détestables tantôt attachants ou drôles, déterminés et perdus, incarnant différentes appréhensions de la jeunesse.

En bref, c’est une bonne comédie, bien écrite et bien montée, à la manière d’un théâtre classique, au décor imposant et figuratif d’un salon et au point de vue acerbe et comique, sans la férocité et le cynisme parfois poussées à l’extrême que revêtent certaines chroniques de Nicolas Bedos, et qui n’auraient pas leur place dans ce théâtre-là.

Publié dans Le Suricate n°12

Du théâtre dans le noir, ou presque


Michel Dupont Théâtre national
Ecriture et conception d’Anne-Cécile Vandalem


Avant d’entrer dans la salle, les techniciens mettent en garde les éventuels phobiques du noir, en leur préconisant de se placer le plus près possible de la sortie au cas où. C’est donc mis dans l’ambiance que nous entrons dans une pièce très faiblement éclairée, et que tout en nous habituant à l’obscurité, nous nous asseyons en cercle sur des coussins autour d’un bloc rectangulaire noir, représentant la tour, lieu de l’histoire.

La lumière s’éteint et la narration commence. Il était une fois un roi et une reine. La reine meurt avant d’avoir pu donner un prénom à sa fille et le roi, voyant la princesse sa fille ressembler de plus en plus à feu sa femme en grandissant, prive la tour dans laquelle ils vivent de tous reflets possibles. La princesse, qui nous raconte son histoire, grandit donc dans l’obscurité entourées de fenêtres calfeutrées, sans jamais voir son reflet, jusqu’au jour de ses onze ans, date à laquelle son père lui fait boire des médicaments et profite de son sommeil pour l’enfermer sous la tour entre quatre murs.

Nous voilà à ce moment-là plongés dans l’obscurité TOTALE, et ballottés par l’angoisse et les hallucinations de cette jeune princesse qui découvre à tâtons la pièce de laquelle elle est prisonnière, ensuite obnubilée par l’eau qu’elle entend couler goutte à goutte et dont elle cherche la source.

Hormis la tour dans laquelle l’on voit s’éclairer les fenêtres de temps à autre, une lumière venant du plafond ou les autres spectateurs autour, nous sommes privés d’éléments visuels. Le son est spatialisé, et lorsque la princesse se déplace à quatre pattes dans la pièce, on cherche la goutte avec elle, et on l’entend tantôt s’approcher de nous, tantôt s’éloigner. Ce spectacle a le grand mérite de nous faire découvrir l’imagination dont nous faisons preuve lorsque nous ne possédons pas le sens de la vue. L’obscurité totale - que nous ne vivons jamais vraiment, les sources lumineuses ne manquant pas dans notre quotidien, de la lune à la lumière rouge d’un appareil électronique en veille - couplée à la narration, mettent les spectateurs en état d’alerte, au plus près de l’angoisse de la princesse et de ses divagations.

Jusqu’à en être déçu lorsque la lumière se fait et que l’imagination se restreint. La petite critique sera la monotonie des effets sonores. En effet, les moments dans lesquels la princesse apprivoise les bruits extérieurs qui la rattachent au monde qu’elle ne connaît plus et ceux dans lesquels son imagination la perd dans de grands délires se font rares au bout d’un certain temps.

C’est tout de même un spectacle à vivre, donc il ne faut pas hésiter à y aller, car les défauts ne masquent pas l’originalité de l’expérience, et le récit est plutôt bien construit du début à la fin. À un moment où les créations contemporaines se font de plus en plus transdisciplinaires, intégrant l’art plastique, la vidéo, l’animation ou la musique live, cet objet théâtral a le mérite d’exister et de nous faire découvrir que ne pas voir peut rendre certains moments beaucoup plus intéressant que l’inverse.
Publié dans Le Suricate n°11