lundi 18 mars 2013

Du théâtre dans le noir, ou presque


Michel Dupont Théâtre national
Ecriture et conception d’Anne-Cécile Vandalem


Avant d’entrer dans la salle, les techniciens mettent en garde les éventuels phobiques du noir, en leur préconisant de se placer le plus près possible de la sortie au cas où. C’est donc mis dans l’ambiance que nous entrons dans une pièce très faiblement éclairée, et que tout en nous habituant à l’obscurité, nous nous asseyons en cercle sur des coussins autour d’un bloc rectangulaire noir, représentant la tour, lieu de l’histoire.

La lumière s’éteint et la narration commence. Il était une fois un roi et une reine. La reine meurt avant d’avoir pu donner un prénom à sa fille et le roi, voyant la princesse sa fille ressembler de plus en plus à feu sa femme en grandissant, prive la tour dans laquelle ils vivent de tous reflets possibles. La princesse, qui nous raconte son histoire, grandit donc dans l’obscurité entourées de fenêtres calfeutrées, sans jamais voir son reflet, jusqu’au jour de ses onze ans, date à laquelle son père lui fait boire des médicaments et profite de son sommeil pour l’enfermer sous la tour entre quatre murs.

Nous voilà à ce moment-là plongés dans l’obscurité TOTALE, et ballottés par l’angoisse et les hallucinations de cette jeune princesse qui découvre à tâtons la pièce de laquelle elle est prisonnière, ensuite obnubilée par l’eau qu’elle entend couler goutte à goutte et dont elle cherche la source.

Hormis la tour dans laquelle l’on voit s’éclairer les fenêtres de temps à autre, une lumière venant du plafond ou les autres spectateurs autour, nous sommes privés d’éléments visuels. Le son est spatialisé, et lorsque la princesse se déplace à quatre pattes dans la pièce, on cherche la goutte avec elle, et on l’entend tantôt s’approcher de nous, tantôt s’éloigner. Ce spectacle a le grand mérite de nous faire découvrir l’imagination dont nous faisons preuve lorsque nous ne possédons pas le sens de la vue. L’obscurité totale - que nous ne vivons jamais vraiment, les sources lumineuses ne manquant pas dans notre quotidien, de la lune à la lumière rouge d’un appareil électronique en veille - couplée à la narration, mettent les spectateurs en état d’alerte, au plus près de l’angoisse de la princesse et de ses divagations.

Jusqu’à en être déçu lorsque la lumière se fait et que l’imagination se restreint. La petite critique sera la monotonie des effets sonores. En effet, les moments dans lesquels la princesse apprivoise les bruits extérieurs qui la rattachent au monde qu’elle ne connaît plus et ceux dans lesquels son imagination la perd dans de grands délires se font rares au bout d’un certain temps.

C’est tout de même un spectacle à vivre, donc il ne faut pas hésiter à y aller, car les défauts ne masquent pas l’originalité de l’expérience, et le récit est plutôt bien construit du début à la fin. À un moment où les créations contemporaines se font de plus en plus transdisciplinaires, intégrant l’art plastique, la vidéo, l’animation ou la musique live, cet objet théâtral a le mérite d’exister et de nous faire découvrir que ne pas voir peut rendre certains moments beaucoup plus intéressant que l’inverse.
Publié dans Le Suricate n°11

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