mardi 18 juin 2013

LE spectacle à voir


Germinal
Halory Goerger & Antoine Defoort

«  Et si on avait la possibilité de repartir de zéro, même à l’intérieur de huit mètres par huit, on ferait comment ? »
La lumière baisse côté public, les spectateurs arrêtent de parler, puis la lumière se rallume un peu, puis elle rebaisse. Un projecteur s’allume très progressivement sur la scène, puis s’éteint puis se rallume et se re-éteint jusqu’à s’allumer totalement. Quatre personnes sont assises sur un côté de la scène, une console à la main et testent les boutons, allumant tantôt un éclairage à droite, tantôt à gauche, et cetera.

Au bout d’un moment, l’un d’eux se lève et teste un bouton sans comprendre à quoi il sert. Il pousse le bouton et derrière lui un sous-titre affiche du genre « il marche pas ce bouton ! », « à quoi il sert ? ». Jusqu’à ce qu’il se rende compte que le bouton lui permet justement de traduire ses pensées à l’écrit et donc de les transmettre à d’autres. Il montre sa trouvaille aux autres, et c’est là que communiquant par cet outil tout nouvellement trouvé, ils commencent à interagir et à découvrir cet univers de la taille d’une scène ainsi que ses possibilités.

Le postulat de base et donc le suivant : supposons que quatre individus soient les premiers d’un univers, et qu’au lieu de naître/d’apparaître dans un univers entouré de nature, ils apparaissent dans un univers numérique. Qu’au lieu de cailloux comme premiers outils, ils aient entre leurs mains des consoles.
Je ne veux pas en dire plus tellement la découverte du spectacle au fur et à mesure est un plaisir de tous les instants. Je vous dirais seulement que ce spectacle est génial et je pèse mes mots. Les personnages vont découvrir la communication, par geste, puis par l’écrit, puis orale et ainsi de suite.

La dose d’humour est très forte et la dose de réflexions sous-jacentes l’est tout autant, et c’est ce qui est la grande réussite de ce spectacle : c’est à la fois très intelligent et très bête, est c’est génial.

Je vais alors parler d’Antoine Defoort, celui des deux créateurs de Germinal dont je connais un peu le travail. Il avait présenté Cheval, avec son acolyte Julien Fournet au Festival d’Avignon il y a quelques années. Antoine Defoort est un habitué des expérimentations à base de numérique, de musique et de tout ce qui lui vient à la main, le tout baigné dans beaucoup d’humour et de n’importe quoi ou presque. Tout comme le moment de Cheval, ou l’un des comédiens joue un morceau classique à la flûte à bec (avec sa narine si je m’en souviens bien) et qu’il fait les chœurs ou l’un des instruments avec des extraits de commentaires footballistiques qui respectent les bonnes tonalités.

Je vous invite maintenant à faire un tour sur le site Internet de l’Amicale de production (http://www.amicaledeproduction.com/), leur société basée à Lilles, et qui ne manque pas non-plus d’humour.

Autre point important, Halory Goerger & Antoine Defoort deviennent à partir de septembre 2013 artistes associés au Beursschouwburg. N’oubliez pas cela, et jetez vous sur les présentations de travaux, les rencontres ou tous moments qui sera proposé dans ce lieu en leur compagnie.

Et pour toi futur festival d'Avignon en juillet prochain, si t'as pas vu Germinal t'as raté ton festival.

Article publié ICI dans le Suricate magazine n°19

lundi 20 mai 2013

Kunstenfestivaldesarts - le temps des présentations

Tout comme je vous l’avais annoncé dans l’édito du précédent magazine (Le Suricate n°17 pour les petits malins et petites malignes qui ne croient personne sur parole, ni même nous!) ce mois de mai est l’occasion de découvrir ensemble le Kunstenfestivaldesarts (que je nommerai à partir de maintenant « Kfda » par économie d’encre numérique).

Cette découverte se fera donc en deux temps. Dans ce numéro-ci, je vais effectuer une sélection personnelle de spectacles, performances et expositions que vous pouvez voir à partir de maintenant jusqu’à la fin du festival, et je vous livrerai aussi la critique du spectacle de danse Partita 2 de Anne Teresa de Keersmaeker et Boris Charmatz. Dans le Suricate n°19 (donc le prochain, ça fait plaisir de voir que certains suivent) nous vous concocteront un dossier sur le Kfda dans lequel vous y trouverez les critiques des spectacles que j’aurai vu et une présentation du festival plus approfondie à laquelle je pourrai cette fois-ci joindre mes impressions et jugements.

Je vais tout d’abord préciser que de nombreux ponts se créent entre le Kfda et mon cher Festival d’Avignon, donc que j’y retrouve des artistes que j’apprécie beaucoup et d’autres moins donc ne vous étonnez pas si j’y fais référence par moment (c’est un tic que j’essaierai de gommer au fil du temps).

Le Kdfa, qui fête cette année sa dix- huitième édition, se déroule pendant trois semaines en mai dans une vingtaine de lieux bruxellois. Il est  « conçu fondamentalement comme un projet bilingue, il contribue à encourager le dialogue entre les communautés présentes dans la ville ». Du coup on y trouve des théâtres francophones, dont certains que vous avez l’habitude de croiser dans nos pages (du Suricate magazine), comme La Balsamine, le Théâtre 140, le Marni et le Varia. Et des institutions flamandes, que nous n’avons jusqu’ici pas encore abordé, impair que nous avons décidé de réparer dès à présent. Dans ces dernières, il y a entre autres le Beursschouwburg, qui est le Centre du festival, et le Kaaitheater que j’apprécie particulièrement et qui présente les artistes flamands les plus reconnus internationalement tout au long de l’année. « Le Kunstfestivaldesarts est aussi et avant tout un festival de création, parce que plus de la majorité des spectacles y sont présentés en première mondiale. »

Voici maintenant une petite sélection parmi les quarante spectacles, performances, installations et rencontres programmées.

H, AN ACCIDENT Kaaitheater – du 16 au 18/05
L’artiste Kris Verdonck interroge ici « les effets insidieux de notre société de l’information sur la vie privée et la liberté individuelle » par le biais d’un « opéra posthumain interprété par des instruments de musique robotisés, un chœur de chanteuses irlandaises, une armée d’outils multimédias et un Daniil Harms (un auteur dissident russe de l’époque de Malevitch) de chair et de pixel. » De quoi égayer notre curiosité !

GERMINAL La Raffinerie - du 21 au 25/05
Pour avoir déjà assisté à un spectacle-expérimentation d’Antoine Defoort au Festival d’Avignon (je vous avez prévenu) je me permet de vous conseiller le spectacle Germinal avant de l’avoir vu. Antoine Defoort est un habitué des expérimentations à base de numérique, de musique et de tout ce qui lui vient à la main le tout baigné dans beaucoup d’humour et le n’importe quoi ou presque. Il se met cette fois-ci aux côtés de Halory Goerger pour s’attaquer au théâtre, et ça promet.

TIME HAS FALLEN ASLEEP IN THE AFTERNOON SUNSHINE Bibliothèque Royale de Belgique - du 16 au 18/05 et du 23 au 25/05
Imaginez que nous assistions à une période de répression comme dans Farheinheit 451 de Ray Bardbury lors de laquelle tous les livres sont supprimés. Que faire d’une bibliothèque vide ? Heureusement, l’artiste norvégienne Mette Edvardsen a prévu le coup. La performance qu’elle présente cette année est basée sur un ensemble de performers qui ont chacun mémorisé un livre de leur choix. Vous empruntez l’un d’eux au comptoir de prêt et il vous entraîne dans un lieu intime pour vous le réciter.

Keersmaeker et Charmatz réunis


Partita 2 - Sei solo Kunstenfestivaldesarts
Chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker
En collaboration avec Boris Charmatz
Danse Anne Teresa De Keersmaeker, Boris Charmatz

Voici ce qui est probablement la ou plutôt les têtes d’affiche du Kunstenfestivaldesarts de Bruxelles et qui le sera probablement aussi au Festival d'Avignon en juillet.

D’un côté, Anne Teresa de Keersmaeker. Danseuse et chorégraphe flamande qui a participé au renouvellement du langage chorégraphique de la danse contemporaine au début des années 1980. Son troisième spectacle Rosas danst Rosas, créé en 1984, est probablement le plus beau spectacle de danse que j’ai vu jusqu’ici et d’autres personnes plus âgées doivent pouvoir en dire autant. Anecdote du jour : c’est de ce spectacle que Beyoncé a plagié une partie de la chorégraphie pour l’intégrer à son clip Countouwn. La renommée d’Anne Teresa de Keersmaeker n’est donc plus à faire et son rythme de création est toujours élevé. Mais revenons-en à notre spectacle.

De l’autre côté, donc, Boris Charmatz. Danseur et chorégraphe français reconnu comme le chef de file français de la nouvelle génération dans les années 1990. Il questionne principalement le rapport au corps et la non-danse. Il a, par exemple, présenté un spectacle très controversé lors Festival d’Avignon en 2011. Enfants mêlait sur scène des adultes et des enfants dans des chorégraphies questionnant le rapport au corps entre enfants et adultes.

Voici donc ces deux artistes renommés qui se rencontrent sur le plateau pour danser ensemble sur la Partita 2 pour violon de Johann Sébastian Bach. La scénographie est très sobre. La scène est dénudée et seule une lumière dessinant le cadre de la porte par laquelle elle passe, nous offre un élément très marqué. D’ailleurs, le spectacle commence dans le noir complet. Pas étonnant quand on connaît les deux artistes qui aiment bien débuter leurs spectacles sans danse ou au pire en partant d’un mouvement très faible. Le début est donc ici consacré au morceau de J.- S. Bach, que nos oreilles peuvent alors tranquillement étudier, décortiquer ou tout simplement savourer.

C’est ensuite qu’arrive les deux danseurs et danseuses, exécutant des gestes et pas au caractère plus ou moins aléatoire, plus ou moins déterminé mais ne cessant de se répondre l’un l’autre. Cet esthétique de la répétition donne des apparences de découverte. Ils se découvrent l’un l’autres, découvrent leurs manières de danser respectives, et tentent de retranscrire à leur manière la musique. Des gestes maladroits, enfantins, aux courses en cercle comme on joue au chat et à la souris, c’est vraiment l’impression de découverte de soi et de l’autre qui m’a le plus marqué dans ce spectacle.

La troisième partie du spectacle consiste en leurs danses, auxquelles s’ajoute la musique Partita 2 de J.- S. Bach exécutée par la violoniste Amandine Beyer dans l’aire de danse. La construction en trois parties rend le spectacle très équilibré et très varié. De plus les trois parties sont complémentaires mais elles ont clairement leur intérêt propre si on les prend individuellement. Moi qui suis loin d’avoir apprécié tout ce que j’ai vu d’Anne Teresa de Keersmaeker ou le spectacle que j’ai vu de Boriz Charmatz, j’ai était conquis par le résultat que nous offre la rencontre des deux.

Programmé au Festival d'Avignon, ce spectacle risque de nous offrir un beau moment dans la mythique Cour d'Honneur du Palais des Papes. Reste à voir comment nos deux danseurs géreront l'immensité du plateau à deux.

mercredi 10 avril 2013

Nouvel album de...


Black Rebel Motorcycle Club : Specter At The Feast
Musique

Avant de me pencher sur cet album, j’avais entendu parler de ce groupe mais n’avait jamais écouté, et cela fait maintenant deux semaine que j’écoute ce nouvel album en boucle jusqu’à près de trois fois par jour. N’allez pas pour autant penser que Specter At The Feast est le chef d’œuvre de ce début d’année, l’album n’a pas un caractère très exceptionnel. Seulement il est très bien produit et très construit.

Il débute par un morceau lent et planant puis devient de plus en plus énergique jusqu’à en arriver à des morceaux plus énergiques faisant penser à des groupes comme Lords of Altamont. L’équilibre de l’album est très bien maitrisé de par une alternance réfléchie et efficace des morceaux, de manière à ce que les moments plus violents arrivent en douceur et que les moments planants ne soient pas soporifiques.

Les chansons les plus planantes ont des sonorités très proches de celles du groupe américain The Brian Jonestown Massacre ce qui après recherches n’est pas étonnant puisque Peter Hayes, le leader du Black Rebel Motorcycle y a un temps été guitariste. Specter At The Feast est le sixième album studio de ce groupe créé en 1998 mais dans une formation légèrement différente.

Ça nous a pris beaucoup de temps pour faire cet album,” explique Robert le leader du groupe. “Je pense qu’on est arrive à un point de craquer entre nous pendant notre tournée et il fallait prendre un peu de recul. Ces morceaux nous on donné un second soufflé et donné une autre chance. Je n’avais jamais été aussi impatient de jouer un album en live, avec ces morceaux il s’agit de puissance.”

Grande-Bretagne Vs États-Unis



Il y a cinquante ans... Musique

Alors qu’en Belgique Petula Clark occupe la première place du Hit-parade avec Cœur blessé et que Françoise Hardi fait de même en France avec Tous les garçons et les filles de mon âge deux groupes bientôt emblématiques débarquent dans leurs pays respectifs et connaissent leurs premiers succès nationaux. En effet, il y a bientôt cinquante ans sortait à trois jours d’intervalle le premier album des Beatles et le second album des Beach Boys.

The Beatles - Please Please me

Le 22 mars 1963 en Angleterre, sort le premier album des Beatles, quelques mois après la sortie des singles Love me do et Please please me. L’album est composé de huit compositions originales ainsi que de six reprises de standards tel que Twist and Shout.
L’album avait pour but de retranscrire l’énergie et le répertoire qui caractérisaient le groupe sur les scènes britanniques et faisait leur renommé depuis deux ans. Il est enregistré le 11 février, alors qu’ils ont un jour de pause dans leur tournée, et ce en l’espace de trois sessions de trois heures chacune ce qui est bien entendu exceptionnel. Cet empressement est dû à la volonté de surfer sur le succès du single Please Please me paru en janvier afin de les installer définitivement comme un groupe important et à suivre.
Dans la série des producteurs dans l’erreur, et avec le recul, il est marrant de noter Dick Rowe qui doit sa célébrité au fait d’avoir refusé les Beatles lors d’une audition en 1962 et d’avoir conclu l’entretien en leur expliquant que « les groupes à guitares allaient bientôt disparaître ». On peut noter que la maison de disque en question, Decca, reviendra sur son verdict et fera signer The Rolling Stones et The Who un peu plus tard.

The Beach Boys - Surfin’ USA

Le 25 mars 1963, aux Etats-Unis sort leur second album, après Surfin’ Safari. C’est le premier à arriver dans les premières ventes d’album aux États-Unis. The Beach Boys est à l’origine un groupe familial. Il est composé des trois frères Wilson, d’un de leur cousin et d’un ami à eux et le père Wilson en est le manager.
Cet album atteindra dès sa sortie la deuxième place dans les ventes nationales. Le titre Surfin’USA, composé par le leader Brian Wilson, inscrit définitivement le groupe comme l’icône d’une génération de surfeurs, image qui les qualifiera et à laquelle on associera leurs mélodies légères et propres à leur identité. Les paroles de la chanson sont très simples et sont une liste de tous les spots de surf de Californie mais aussi d’Australie et d’Hawaii.
Pour ceux qui ne savent pas trop à quoi s’attendre en écoutant l’album, c’est un peu comme regarder Pulp Fiction mais sans les images. En effet, la bande son de ce film est composé en grande partie de la musique surf. On y retrouve notamment Misirlou, composée par Dick Dale et reprise en autre par les Beach Boys dans Surfin’USA. Vous remarquerez d’ailleurs en parcourant ce magazine que Quentin Tarantino a le même âge à deux jours près que cet album des Beach Boys.

La course des charts

Ces sorties simultanées marquent le début de la concurrence entre les deux groupes. Les Beach Boys ne pourront pourtant pas rivaliser très longtemps. En effet, au début de l’année 1964 les Beatles détrôneront The Singing Nun de Sœur Sourire de la tête du classement Billboard des ventes d’albums aux Etats-Unis pour y être premier. Deux mois plus tard il rentreront dans l’histoire du classement en ayant cinq de leur chansons occupant les cinq premières places du classement. Les Beachs Boys ne baisseront cependant pas les bras et parviendront enfin à en obtenir la première place en mai 1964 avec leur tube internationnal I Get Around, et intègreront aussi les classements britanniques.

lundi 8 avril 2013

On prend les mêmes et on recommence

Le pouvoir des folies théâtrales
Reprise du deuxième spectacle de Jan Fabre créé en 1984. Kaaitheater

Une semaine après avoir passé huit heure plutôt hyptonisé par la performance des comédiens dans "Du théâtre comme il était à espérer et à prévoir" (pseudo-chronique ici) je me suis donc attaqué à second spectacle de Jan Fabre, qui n'a rien de nouveau par rapport au premier si ce n'est un parallèle entre la création théâtrale du XXème siècle et l'histoire de l'art pictural.

À noter, la première scène qui m'a beaucoup fait rire puisque les metteur en scène y fait réciter les lieux de représentations du premiers spectacle à ses comédiens en les faisant terminer par un long applaudissement. La prétention de cette entrée en matière n'a d'égale que son arrogance mais pour le coup elles sont bien placées puisque ce premier spectacle avait pour premier effet de vider les salles et pour dernier de les remplir. Il avait donc raison et le fait savoir.

Pour la suite, je trouve que les quatre heures de ce spectacle-ci sont plus difficiles à encaisser que les huit heures du précédent. Tout d'abord les performances y sont moins marquantes. De plus, et cela compte surtout si l'on a vu le premier, il y a un effet best-of qui se crée puisque les moments qui ont fait rire le public dans le premier apparaissent à nouveau dans le second. Pour finir cette mise en parallèle historique n'apporte pas grand chose si ce n'est qu'elle place le spectacle dans un besoin de renouveau de l'art au fil des époques.

Si cependant vous n'avez pas vu le premier et que vous adorez Jan Fabre, ou que vous le détestez et que vous vous demandez si sa popularité a lieu d'être, c'est toujours bien de le voir. C'est d'ailleurs le grand intérêt de ces deux reprises à l'international, voir ce qui était considéré comme un renouveau artistique dans le monde des arts vivants début 80's et savoir si ça a toujours le même impact.

À cette dernière auto-interrogation je répondrais clairement non, par contre l'on comprend bien pourquoi il a émergé parmi d'autres.

Faut-il aller voir Le Pouvoir des folies théâtrales? Si vous pouvez voir "Du Théâtre comme il était à espérer et à prévoir" et que huit heures assis ne vous font pas peur je dirais clairement non, mais si c'est le seul des deux que vous pouvez approcher, comme ce sera le cas des avignonnais cet été, je dirais pourquoi pas. Pour le reste, il y a votre motivation et vos motifs de sélection des spectacles.

mardi 19 mars 2013

Traduction de la folie ?


Woyzeck serdi faki Théâtre de la vie
De et avec Gökhan Shapolski Girginol, Alici 'Serdi' Faki
Dans le cadre du « Tok Toc Knock Festival II Saint-Josse » – KVS

Mon réveil sonne. Je ne suis pas très réveillé, il est midi, nous sommes dimanche et ils jouent Woyzeck au Théâtre de la vie dans deux heures. Cela me laisse donc le temps d’émerger en naviguant sur l’Internet bruxellois afin de me rafraichir la mémoire sur ce que je m’apprête à découvrir. Woyzeck est donc un texte écrit par Georg Büchner en 1837. La description disponible sur le site Internet du théâtre étant quelque peu succincte, j’élargis ma promenade numérique aux différents Internets.

C’est donc sur l’internet Wikipedia, un des plus fréquentés, que je découvre ceci. Georg Büchner est un écrivain, dramaturge, révolutionnaire, médecin et scientifique allemand. Il s’exile en 1835 à Strasbourg à la suite d’écrits satiriques qui lui valent la censure et un emprisonnement prochain, débute un doctorat en biologie, écrit deux pièces de théâtre et meurt pendant l’écriture de la troisième, et ce à l’âge de 23 ans. Et oui, rien que ça. Ce n’est pas que je n’aime pas que l’on me rappelle que j’ai 23 ans et que j’ai encore rien fait mais je ne peux pas dire que cela me mette de très bonne humeur dès le réveil.

C’est après une course effrénée dans plusieurs couloirs de métro et quelques rues que j’arrive au Théâtre de la vie. Le public qui patiente dans le hall provient d’horizons linguistiques assez divers mais cela ne m’étonne pas plus que ça, nous sommes à Bruxelles, il faut donc que je m’y fasse. Je brave cette foule pour me saisir de mon ticket et de la feuille du spectacle qui est cette fois-ci plus complète.

Assis dans la salle et attendant le début je me renseigne un peu plus. « Woyzeck  est un jeune soldat qui mène une vie difficile : il ne gagne pas beaucoup d’argent. Il habite avec Marie et un enfant et s’efforce de les entretenir. Il se laisse utiliser comme cobaye par un docteur assoiffé d’expériences et exploité par un capitaine de garnison qui lui confie des missions insignifiantes. Quand Marie commence une liaison avec un tambour-major, Woyzeck finit par la tuer avant de se suicider. »

Oui c’est vrai, c’est d’un commun de ne passer que des dimanches paisibles à la longue. Je me languissais donc de pouvoir enfin passer un dimanche en étant déprimé. Mauvaise foi à part, cela s’annonce être une bonne réflexion sur les raisons de la folie.

La lumière s’éteint du côté public et s’allume sur la scène. Cette dernière a été transformée en espèce de caverne à gauche de laquelle se situe un poulailler. Un homme entre et s’approche progressivement du public tenant un tableau devant son visage. Il est clairement dérangé, fixe le public, tend ses mains en espérant y recevoir de l’argent et parle dans un dialecte incompréhensible. Il se parle tantôt à lui-même, tantôt au public et aussi à un enfant imaginaire qu’il s’est fabriqué avec des bâtons ou des os et des vêtements trouvés dans la rue. Il est donc clairement fou et bafouille durant des minutes entières des syllabes n’ayant aucun lien les unes avec les autres, aux accents tantôt arabes tantôt germaniques…

Ah mais non !!! Et c’est à ce moment-là que je comprends. C’est fait ! C’est mon baptême du feu comme on dit. Il fallait bien que cela arrive un jour, après deux mois en Belgique et une dizaine de spectacles à mon actif. Mais c’est maintenant, sur un texte dramatique, un dimanche matin très tôt (si, si 14h c’est tôt). Et oui cet homme n’est pas si fou que cela, enfin sa folie consiste à parler à la fois flamand et turc et il est assez fou aussi pour ne pas avoir pensé à équiper son poulailler d’un système de sur-titrage. Ce qui, pour le coup, est plutôt cohérent.

Le spectacle dure un peu plus d’une heure. Cela me fait penser à tous ces étrangers qui envahissent les rues et les théâtres de ma ville durant le Festival d’Avignon et assistent à des représentations sans rien comprendre de ce qu’ils oient-dire (du verbe ouïr) et doivent alors passer leur cerveau en mode visuel. Je fais donc de même. Moi qui étais curieux de découvrir le texte, ce ne sera pas pour aujourd’hui.

Après une vingtaine de minutes passée à observer, un deuxième protagoniste entre en scène. Il s’approche de Woyzeck, lit la pancarte écrite en flamand que tient ce dernier, se tourne vers le public et dit « je ne comprend rien à ce qui est écrit ». HIP HIP HIP HOURA, un francophone, c’est trop beau pour être vrai. Ce n’est pas que j’ai quelque chose contre les turcs ou les flamands mais j’aime bien comprendre ce qu’on me dit, c’est tout. Puis ce même personnage continue « I don’t understand no words ». Et bien voilà qu’il parle même les deux langues que mon éducation me permet de comprendre. C’est beau le hasard. Puis il poursuit « Jkjuurkrl kduejlr lk ui jrllej ». NON. « jiujr juzer jkoih jhuyqs ». NON, non et non. Et à part un dernier passage de deux minutes dans la langue de Shaekspeare, les deux acteurs sont retournés à celles du Dâd et de Vondel.

La lumière s’éteint sur la scène, se rallume dans la salle, le premier clappement de main se fait entendre, les acteurs viennent saluer, la plupart des spectateurs applaudissent tandis que d’autres n’attendaient qu’une seule chose. Que la lumière se rallume afin qu’il puissent, en portant précipitamment à leur regard la feuille du spectacle qu’ils serraient dans leur main depuis une heure, vérifier si l’inscription turc ou flamand ou même chinois figuraient en tant qu’informations lisibles.

La réponse est oui : « Turque, accessible à tous ». Et c’est donc perplexe que je retourne à mes pénates en me disant que si le metteur en scène à réussi à me mettre dans un état d’incompréhension totale par rapport aux gens qui s’adressent à moi, et à me donner le sentiment d’être là sans y être vraiment, c’est peut-être qu’il vient de me faire ressentir mieux que quiconque ce que signifie Woyzeck.