Woyzeck serdi faki Théâtre de la vie
De et avec Gökhan Shapolski Girginol, Alici 'Serdi'
Faki
Dans le cadre du « Tok Toc Knock Festival II
Saint-Josse » – KVS
Mon réveil sonne. Je ne suis pas très réveillé,
il est midi, nous sommes dimanche et ils jouent Woyzeck au Théâtre de la vie
dans deux heures. Cela me laisse donc le temps d’émerger en naviguant sur
l’Internet bruxellois afin de me rafraichir la mémoire sur ce que je m’apprête
à découvrir. Woyzeck est donc un texte écrit par Georg Büchner en 1837. La
description disponible sur le site Internet du théâtre étant quelque peu
succincte, j’élargis ma promenade numérique aux différents Internets.
C’est donc sur l’internet Wikipedia, un des plus
fréquentés, que je découvre ceci. Georg Büchner est un écrivain, dramaturge,
révolutionnaire, médecin et scientifique allemand. Il s’exile en 1835 à
Strasbourg à la suite d’écrits satiriques qui lui valent la censure et un
emprisonnement prochain, débute un doctorat en biologie, écrit deux pièces de
théâtre et meurt pendant l’écriture de la troisième, et ce à l’âge de 23 ans.
Et oui, rien que ça. Ce n’est pas que je n’aime pas que l’on me rappelle que
j’ai 23 ans et que j’ai encore rien fait mais je ne peux pas dire que cela me
mette de très bonne humeur dès le réveil.
C’est après une course effrénée dans plusieurs
couloirs de métro et quelques rues que j’arrive au Théâtre de la vie. Le public
qui patiente dans le hall provient d’horizons linguistiques assez divers mais
cela ne m’étonne pas plus que ça, nous sommes à Bruxelles, il faut donc que je
m’y fasse. Je brave cette foule pour me saisir de mon ticket et de la feuille
du spectacle qui est cette fois-ci plus complète.
Assis dans la salle et attendant le début je me
renseigne un peu plus. « Woyzeck
est un jeune soldat qui mène une vie difficile : il ne gagne pas
beaucoup d’argent. Il habite avec Marie et un enfant et s’efforce de les
entretenir. Il se laisse utiliser comme cobaye par un docteur assoiffé d’expériences
et exploité par un capitaine de garnison qui lui confie des missions
insignifiantes. Quand Marie commence une liaison avec un tambour-major, Woyzeck
finit par la tuer avant de se suicider. »
Oui c’est vrai, c’est d’un commun de ne passer que des
dimanches paisibles à la longue. Je me languissais donc de pouvoir enfin passer
un dimanche en étant déprimé. Mauvaise foi à part, cela s’annonce être une
bonne réflexion sur les raisons de la folie.
La lumière s’éteint du côté public et s’allume sur la
scène. Cette dernière a été transformée en espèce de caverne à gauche de
laquelle se situe un poulailler. Un homme entre et s’approche progressivement
du public tenant un tableau devant son visage. Il est clairement dérangé, fixe
le public, tend ses mains en espérant y recevoir de l’argent et parle dans un dialecte
incompréhensible. Il se parle tantôt à lui-même, tantôt au public et aussi à un
enfant imaginaire qu’il s’est fabriqué avec des bâtons ou des os et des
vêtements trouvés dans la rue. Il est donc clairement fou et bafouille durant
des minutes entières des syllabes n’ayant aucun lien les unes avec les autres,
aux accents tantôt arabes tantôt germaniques…
Ah mais non !!! Et c’est à ce moment-là que je comprends.
C’est fait ! C’est mon baptême du feu comme on dit. Il fallait bien que
cela arrive un jour, après deux mois en Belgique et une dizaine de spectacles à
mon actif. Mais c’est maintenant, sur un texte dramatique, un dimanche matin
très tôt (si, si 14h c’est tôt). Et oui cet homme n’est pas si fou que cela,
enfin sa folie consiste à parler à la fois flamand et turc et il est assez fou aussi
pour ne pas avoir pensé à équiper son poulailler d’un système de sur-titrage.
Ce qui, pour le coup, est plutôt cohérent.
Le spectacle dure un peu plus d’une heure. Cela me
fait penser à tous ces étrangers qui envahissent les rues et les théâtres de ma
ville durant le Festival d’Avignon et assistent à des représentations sans rien
comprendre de ce qu’ils oient-dire (du verbe ouïr) et doivent alors passer leur
cerveau en mode visuel. Je fais donc de même. Moi qui étais curieux de
découvrir le texte, ce ne sera pas pour aujourd’hui.
Après une vingtaine de minutes passée à observer, un
deuxième protagoniste entre en scène. Il s’approche de Woyzeck, lit la pancarte
écrite en flamand que tient ce dernier, se tourne vers le public et dit
« je ne comprend rien à ce qui est écrit ». HIP HIP HIP HOURA, un
francophone, c’est trop beau pour être vrai. Ce n’est pas que j’ai quelque
chose contre les turcs ou les flamands mais j’aime bien comprendre ce qu’on me
dit, c’est tout. Puis ce même personnage continue « I don’t understand no
words ». Et bien voilà qu’il parle même les deux langues que mon éducation
me permet de comprendre. C’est beau le hasard. Puis il poursuit
« Jkjuurkrl kduejlr lk ui jrllej ». NON. « jiujr juzer jkoih
jhuyqs ». NON, non et non. Et à part un dernier passage de deux minutes
dans la langue de Shaekspeare, les deux acteurs sont retournés à celles du
Dâd et de Vondel.
La lumière s’éteint sur la
scène, se rallume dans la salle, le premier clappement de main se fait
entendre, les acteurs viennent saluer, la plupart des spectateurs applaudissent
tandis que d’autres n’attendaient qu’une seule chose. Que la lumière se rallume
afin qu’il puissent, en portant précipitamment à leur regard la feuille du
spectacle qu’ils serraient dans leur main depuis une heure, vérifier si
l’inscription turc ou flamand ou même chinois figuraient en tant
qu’informations lisibles.
La réponse est oui : « Turque,
accessible à tous ». Et c’est donc perplexe que je retourne à mes pénates
en me disant que si le metteur en scène à réussi à me mettre dans un état
d’incompréhension totale par rapport aux gens qui s’adressent à moi, et à me
donner le sentiment d’être là sans y être vraiment, c’est peut-être qu’il vient
de me faire ressentir mieux que quiconque ce que signifie Woyzeck.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire